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Alors que plusieurs commerçants du Village lançaient un nouveau cri d’alarme face aux problématiques sociales vécues dans le quartier en décidant de fermer leurs terrasses, Valérie Plante présentait jeudi dernier le plan d’action pour y faire face de l’arrondissement de Ville-Marie, un plan élaboré à la suite d’une enquête et de consultations auprès de divers intervenants du Village. Après avoir écouté la mairesse, le conseiller municipal, le chef de police et avoir pris connaissance de la trentaine de recommandations, je dois dire en toute honnêteté que le résultat est très décevant.

Quelques mois après que l’ombudsman de la Ville de Montréal ait reproché aux élus de continuer avec la même approche qu’ils savent inefficace pour faire face à la montée de l’itinérance, je me serais attendu à ce qu’on nous propose un changement de cap et non toute une bonification de mesures de mitigation. Quelques mois après la mission de l’UMQ en Finlande dirigée par son homologue de Québec Bruno Marchand qui refuse de voir l’itinérance comme une fatalité, je me serais attendu à ce que la mairesse ait autre chose à nous dire que d’apprendre à vivre avec et de présenter l’itinérance comme normale en raison de la proximité du centre-ville.


L’hypocrisie sociale

Je dois aussi dire en toute honnêteté que le portrait de la situation témoigne à mes yeux d’une hypocrisie sociale certaine. Présenter les problématiques sociales lourdes associées à l’itinérance, à la santé mentale, à la toxicomanie qui ont été pelletées depuis des décennies dans ce quartier et qui dégradent le tissu social comme les ‘’problématiques sociales du Village’’, c’est présenter la situation comme si ces problématiques émanaient du Village, alors qu’elles affectent le Village de façon disproportionnée en raison de mesures prises depuis des décennies par les administrations municipales successives.

 
Pour avoir vu passer depuis plus d’un quart de siècle comme éditeur tous les projets de revitalisation des micro-quartiers de l’arrondissement de Ville-Marie et les diverses interventions de la Ville pour faire face aux problématiques sociales de la rue, itinérance, prostitution, vente de drogues, santé mentale, Il est très clair dans mon esprit que l’accroissement de ces problématiques dans le Village est directement lié au tassement vers l’est de toutes les marges de la rue à la faveur de la revitalisation et de l’embourgeoisement du Faubourg St-Laurent à la fin des années 1990, puis du Quartier des Spectacles dans les années 2000. Plusieurs chercheurs ont documenté ce processus. Et nous en avons nous-mêmes été témoins.

 
La revitalisation de ce secteur est passée par l’élimination du Red Light et il est clair et net que la répression policière a été utilisée consciemment par les autorités municipales de l’époque pour y parvenir. Je me souviens trop bien des interventions policières à la Place Émilie-Gamelin à la fin des années 1990 après y avoir instauré un couvre-feu pour expulser manu militari les jeunes de la rue qu’on refoulait vers le Village. Ils avaient alors élu domicile au parc du métro Beaudry et au parc Campbell. C’est ce qui avait amené les commerçants du Village à réclamer un nouvel édicule transparent à cette station de métro de façon à ce que les patrouilles policières puissent voir facilement ce qui s’y passait, un dossier dans lequel j’ai représenté les commerçants du Village.

 
Je me souviens aussi trop bien du projet dément de déjudiciarisation de la prostitution de rue limitée aux territoires des postes de quartier 21 et 22 proposé par la Ville en 1999-2000 qui visait à débarrasser les autres quartiers du phénomène en la concentrant ‘dans le Centre-Sud’. Selon une logique bureaucratique, avec l’instauration des postes de police de quartier on a décidé de les spécialiser et les postes 21 et 22 étaient désignés pour l’itinérance. Alors que la Ville avait été obligée de reculer dans ce projet devant la levée de boucliers de la population contre elle, elle est restée sourde à la préoccupation citoyenne de voir peu à peu s’installer dans le quartier une grande concentration de ressources pour les ‘’clientèles de la rue’. Ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre que si on installe au cœur ou autour du Village des ressources pour les hommes, les femmes et les jeunes de la rue, en plus de 2 des 3 sites autorisés d’injection supervisée pour toxicomanes, qu’on se prépare à une joyeuse tempête.

Camping dans les parcs

Dans combien de quartiers la Ville tolèrerait-elle de tels campements dans un parc pour les enfants?

Mais quand on a des grands projets de revitalisation à coup de centaines de millions $, on trouve tout à fait normal de tasser ces gens plus à l’est et on se dit que les gais sont des gens tolérants, des marginaux eux-mêmes et que le Village, ce n’est pas un quartier pour les familles. Alors ça pose moins de problèmes de gérer ces problématiques dans ce quartier. Ça, j’aurais aimé que l’administration municipale admette la responsabilité de la Ville dans cette dégradation du Village qui en résulte. L’administration actuelle pouvait à la rigueur reconnaître les erreurs des administrations précédentes qui nous ont mené là.

Police 1977

Un Village né du ‘’nettoyage’’ du centre-ville


Notre communauté connait trop bien le genre d’opérations de ‘’nettoyage’’ du centre-ville menée par les différentes administrations municipales au fil des décennies. C’est précisément la vague de répression qui a précédé les Jeux Olympiques de 1976 qui a amené les établissements gais à migrer vers l’Est dans ce qui est aujourd’hui le Village. Quand la mairesse parlait des luttes menées par nos communautés pour leurs droits dont le Village est la mémoire, il aurait peut-être été embarrassant de rappeler que c’est souvent contre l’administration municipale et son service de police qu’elles ont été menées. Comme la Ville reconnaît l’existence de discriminations systémiques, il serait approprié qu’elle se questionne sur sa propension à demander à nos communautés de vivre avec ce qui serait jugé intolérable dans d’autres quartiers. Ce n’est pas d’hier que les citoyens de ce quartier répondent à ceux qui leur reprochent le syndrome ‘’Pas dans ma cour’’ que c’est plutôt que ‘’la cour est pleine’’. Après avoir elle-même déplacé le problème vers l’est par ses actions, il est assez peu subtil de nous dire maintenant qu’il ne faut pas agir de façon à déplacer le problème.


Au-delà des déclarations d’amour pour ce quartier que j’ai entendues dans la bouche de nos élus ce jour-là, je ne peux faire autrement que de constater que le Village est le dernier pôle significatif de l’arrondissement de Ville-Marie à attendre un effort sérieux de revitalisation, un plan qu’on nous promet pour 2025-26… ce qui coïncidera étrangement avec la livraison des premières phases des vastes projets immobiliers qui se développent autour du Village… mais que la Ville n’inclut pas dans le périmètre du Village. Contrairement à la Place Émilie-Gamelin (sous la responsabilité du Quartier des Spectacles) qu’elle n’associe au Village que quand il s’agit de parler des problématiques sociales dans son plan d’action. Comme si y gérer la misère humaine relevait du Village.


À quand un changement de cap?


J’aurais espéré que l’administration Plante nous propose un changement de cap en matière d’itinérance. Depuis des décennies, autant les organismes communautaires que les chercheurs demandent qu’on ne se contente plus d’ouvrir des refuges de nuit ou des centres de jour, d’équipes de travailleurs de rue, mais qu’on offre du logement supervisé à ceux et celles qui souhaitent sortir de la rue. Pour pouvoir intervenir efficacement en santé mentale, en toxicomanie ou en itinérance, il faut stabiliser les personnes et créer les conditions qui rendent possible une intervention suivie. Ce qui ne peut évidemment se faire sans domicile fixe et passe inévitablement par offrir un toit. Et il n’est certainement pas souhaitable que ceci se concentre dans tel ou tel quartier pour en faire des ghettos. Dans un climat comme le nôtre, malgré que pour certains l’itinérance puisse être un mode de vie, il est clair et net que c’est ce que préféreraient la grande majorité des personnes qui se retrouvent à la rue. L’expérience de la Finlande qui a adopté cette approche et qu’est allé étudier le maire Marchand cet hiver est probant. Bien sûr ceci nécessite d’abord et avant tout un changement de cap des gouvernements québécois et fédéral dont relèvent la santé, les services sociaux et le logement. Mais quand la situation atteint progressivement un point de non-retour, faut-il attendre que le Village ou tout autre quartier se transforme en Downtown Eastside comme à Vancouver pour changer de cap?


Plus de 60 ans après la Révolution tranquille, 40 ans après la désinstitutionnalisation des personnes atteintes de maladies mentales, il serait plus que temps que les gouvernements québécois et fédéral cessent de compter sur la charité chrétienne et des organismes communautaires pour prendre en charge ces lourdes problématiques sociales. Il est pathétique qu’en la matière on compte encore sur ces ressources qui malgré toute leur bonne volonté sont insuffisantes et surtout pas équipées pour un suivi psychosocial qui peut souvent prendre des années. Plusieurs diront que ce genre de changement de cap prendra lui aussi des années avant de produire des effets et que ce qu’il faut, ce sont des actions qui produiront des effets à court terme. Cet argument, je l’entends depuis au moins 25 ans. Et d’actions à court terme en mesures de mitigation, voilà où nous sommes rendus. Peut-être en serait-il autrement si nous avions changé de cap il y a 25 ans.

André Gagnon Éditeur, Guides GQ

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